Illustrations réalisées par Corto Rudant
Régis Loisel était l’un des dessinateurs les plus attendus lors du
Lyon BD Festival. Créateur, entre autres, de « La Quête de l’oiseau du
temps » ou de la BD « Peter Pan », l’auteur et scénariste star
du 9e Art*, a accepté de répondre à nos questions après avoir tenu une
conférence sur « Magasin Général » en compagnie de son ami et
collègue Jean-Louis Tripp. La série de 9 tomes, coréalisée par les deux
comparses, narre la vie de tous les jours de Notre-Dame-du-Lac, un petit
village québécois imaginaire, dans les années 1920. Edité par Casterman,
« Magasin Général » est un véritable succès, également considéré
comme un roman graphique fictif très bien documenté. La série s’est vendue à
plus d’un million d’exemplaires et a été nominée dans les trois plus grandes
catégories du festival d’Angoulême 2015 (meilleur album, meilleure série, prix
du jury).
Régis Loisel, comment
avez-vous atterri au Lyon BD Festival et qu’êtes-vous venu y faire ?
Nous avons fait une tournée de dédicace avec Jean-Louis
Tripp pour la sortie du 9e et dernier tome de Magasin Général.
Pendant un mois et demi, nous avons parcouru la France. Nous sommes évidemment
passés sur Lyon et une personne que nous avons rencontré nous a parlé du
festival, ça nous a mis la puce à l’oreille. On a donc repris contact pour
revenir participer à ce festival. Avec Jean-Louis Tripp, on a présenté le
projet « Magasin Général », son mode de création et une de ses
spécificités : le fait de l’avoir réalisé à quatre mains.
Comment en êtes-vous
arrivé à réaliser un projet à quatre mains avec Jean-Louis Tripp ?
On travaillait tous les deux dans mon atelier à Montréal. Je
finissais Peter Pan et lui Paroles d’Anges. Il m’entendait râler sur la
finition tandis que lui râlait sur la mise en place de ses planches. Il m’a
donc proposé qu’on travaille ensemble avec chacun nos points forts. Comme il est dans un univers différent
du mien, il fallait trouver un projet commun.
Et ce projet commun, comment
est-il né ?
Un jour nous parlions du cinéaste Franck Capra avec
Jean-Louis Tripp. Or, j’avais déjà imaginé un scénario « à la
Capra », dans un petit village français à l’ancienne, en autarcie, avec
ses commerces de proximité, son église, sa mine de charbon, sa vie en
communauté et tout ce genre de petits ingrédients. J’avais même expliqué mon
projet à un éditeur qui s’était montré intéressé. Mais entre ce que dit un
éditeur, qui sur le coup va être emballé, et le temps que cela peut prendre
pour se mettre en place, on a le temps de voir le temps filer ! Bref
j’avais fini par mettre cette histoire de côté et c’est à l’occasion de cette
discussion que ça m’est revenu. Jean-Louis s’est montré intéressé et m’a
proposé de reprendre l’idée mais de placer l’histoire au Québec vu qu’on s’y
était installé tous les deux. On a commencé à élaborer le scénario et c’était
parti.
Comment vous
êtes-vous répartis les tâches sur ce projet, du point de vue créatif ?
Tout au long de la série, je me suis chargé de la partie
mise en scène de « Magasin Général », j’ai également réalisé les
planches d’origine. Ensuite, je passais mon travail à Jean-Louis Tripp sous un
format réduit à 80% qui correspondait plus au format de planche sur lequel il
avait l’habitude de travailler. Il décalquait alors les dessins tout en
retravaillant le style à sa manière. Notre travail s’est voulu complémentaire et
a permis la production de « Magasin Général ».
Que l’histoire se
passe au Québec, ça a vraiment changé la dimension de « Magasin Général » ?
Ah oui, ça a changé la donne ! Au Québec, en hiver, il
fait tellement froid que les gens ne peuvent rien faire, surtout dans les
années 1920, l’époque à laquelle se déroule cette histoire. Du coup, chaque
hiver, les hommes partaient couper du bois, faire du travail de bûcheron en
forêt pendant quelques mois. Ça leur permettait de se faire de l’argent et
lorsqu’il revenait, il pouvait payer leurs dettes et s’acheter toutes sortes de
choses au Magasin Général, un commerce typiquement Québécois. Et ça recommençait
comme ça tous les ans. Après au-delà de la fable qu’on a créée et qui n’aurait
pas pu exister, on s’est beaucoup renseigné sur les conditions de vie de
l’époque et on a bien documenté le tout. Le contexte est vrai. Par exemple, le
fait qu’il n’y avait pas d’électricité à l’époque et qu’ils devaient donc
s’éclairer à la torche ou à la bougie. Cela nous a permis de mettre la
communauté de Notre-Dame-du-Lac en retrait de la société, sachant qu’il n’y
avait pas encore la radio ni la télévision dans ces petits villages isolés.
Pensiez-vous que
cette série connaitrait un tel succès ?
Non, pas vraiment, ça a été une bonne surprise. Il n’y a pas
un scénario comme l’entend dans la plupart des BD, pas d’intrigue de fou, mais
pleins de petites histoires qui se complètent, s’assemblent. Finalement, ce qui
a fait son succès, c’est le tout. Le fait que ce soit l’histoire d’un petit
village, avec des personnages hauts en couleur, une problématique moderne. On a
créé de l’amour autour de ces personnages, de l’empathie aussi. « Magasin
Général », c’est un Ovni dans la BD mais ça fonctionne.
Pour finir, maintenant
que « Magasin Général » est terminé, avez-vous un projet en cours et
si oui pouvez-vous nous détailler vos « secrets » de fabrication ?
Je suis en train de faire « Mickey ». Ce n’est pas
anodin pour moi car je suis venu à la BD en lisant « Le journal de
Mickey ». Quand j’étais gamin, je ne lisais rien d’autre pour tout vous
dire. Là, c’est une BD hommage, à l’ancienne, en grand format (il mime une BD
ouverte en écartant largement les bras et précise qu’il travaille en format
raisin, soit 50x65cm par page). Comme je suis fan des « Mickey » des
années 30, j’ai remis les mêmes personnages qu’à l’époque. J’ai juste rajouté
Dingo, que j’ai zombifié, et Donald, mais ils ne font que des courtes
apparitions. La BD sortira chez Glénat, avec 2 strips par page, ce sera donc
une BD très visuelle. Pour la date de parution, je ne sais pas. Le but c’est de
me faire plaisir et d’être satisfait à la fin. Pour le style, je travaille
dessus avec des encres PBO et mon secret c’est de rajouter une toute petite
pointe de gouache blanche pour donner de la texture. J’essaye aussi de prévoir assez de quantité de
mélange de couleurs dans les alvéoles pour ne pas avoir à les refaire durant la
BD, ce qui peut changer les couleurs, et lorsque cela est trop sec, j’humidifie
le tout et c’est reparti !
*Régis Loisel
a remporté le Grand Prix du Festival International de la Bande Dessinée d'Angoulême, dont il a été le président en 2003.
Article réalisé par Benoit Drevet